La philosophie à l’épreuve de la viande
Certes, la Journée internationale sans viande (Meat Out Day), fixée chaque année autour du 20 mars, suscite l’intérêt croissant du grand public et des médias. Certes, scientifiques et politiques sont chaque jour plus nombreux à dénoncer l’aberration pour l’environnement que représente la production mondiale de viande (302 millions de tonnes en 2012, soit cinq fois plus qu’en 1950), l’une des grandes causes de la déforestation, du réchauffement climatique et de la pollution de la planète. Certes, de grands chefs cuisiniers prennent position, tel le Français Alain Ducasse, qui a supprimé la viande de la carte du Plaza Athénée, son restaurant parisien. Certes, le nouveau livre du moine bouddhiste Matthieu Ricard, Plaidoyer pour les animaux, est un joli succès de librairie… Et après ?
Après, rien. Ou presque. On sait, et on continue. On évoque avec pessimisme la crise écologique, on s’indigne du scandale des élevages industriels, mais on ne renonce pas à son bifteck. Ni à sa dinde de Noël. Tout juste réduit-on un peu sa consommation… Mais si peu ! Un effort infime au regard de l’essor fulgurant qu’a connu l’industrie de la viande depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En France, alors que la population est passée de 40 millions d’habitants à près de 70 millions aujourd’hui, la quantité de viande consommée par personne a presque doublé entre 1950 et 1980, grimpant de 50 à près de 100 kg par an. Elle a, depuis, légèrement régressé, mais avoisine toujours les 90 kg par personne et par an. Soit près de 500 000 bovins, ovins et porcins tués chaque jour dans les abattoirs, tandis que les végétariens plafonnent à 2 % de la population.
« Défi majeur à la cohérence éthique des sociétés humaines »
« Tous les ans, 60 milliards d’animaux terrestres et 1 000 milliards d’animaux marins sont tués pour notre consommation, ce qui pose un défi majeur à la cohérence éthique des sociétés humaines », constate Matthieu Ricard. Dans un livre choc paru en 2011, le romancier américain Jonathan Safran Foer allait plus loin encore. Faut-il manger les animaux ?, s’interrogeait-il à l’issue d’une longue enquête, en partie clandestine, dans cet enfer insoutenable qu’est l’élevage industriel. « Les animaux sont traités juridiquement et socialement comme des marchandises », conclut-il. Nous le savons tous, comme nous devinons tous l’horreur des traitements qu’on leur inflige. Sans vouloir nous en souvenir. Car c’est un fait : « La majorité des gens semble avoir accepté le fait de manger les animaux comme un acte banal de l’existence. »
En avons-nous moralement le droit ? Le 30 octobre, l’Assemblée nationale adoptait un projet de loi visant à reconnaître aux animaux, dans notre Code civil, le statut d’« êtres vivants doués de sensibilité ». Pouvons-nous, pour notre plaisir ou par simple habitude, faire souffrir et mourir des êtres vivants capables de souffrance, d’émotions, d’intentions, alors même que notre survie alimentaire n’est pas en jeu ? Et si non, pourquoi continuons-nous à le faire ? Pour tenter de comprendre, nous avons voulu interroger la philosophie. Et nous devons avouer notre surprise : la philosophie, jusqu’à un passé (très) récent, ne s’est jamais posée cette question. Elle ne s’est jamais demandé si cette pratique était acceptable. C’était une évidence...
http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/12/24/la-philosophie-a-l-epreuve-de-la-viande_4545910_3224.html
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